Quantcast
Channel: L'Ecole du Spectacle
Viewing all articles
Browse latest Browse all 10

« L’exigence est immense », une année à l’Académie de l’Opéra National de Paris, avec Paul Balagué, metteur en scène

$
0
0
Paul Balagué, metteur en scène en résidence à l’Opéra National de Paris © Christophe Pelé / OnP

« Êtes-vous sûr de vraiment vouloir cela ? D’en être vraiment capable ? » C’est la question qu’a posé le jury de l’Académie de l’Opéra National de Paris à Paul Balagué lors du concours de recrutement de la section mise en scène, en 2017. L’assurance de Paul Balagué a dû convaincre son auditoire puisque le jeune metteur en scène s’est retrouvé embarqué durant une année dans une folle aventure, « à flux tendu », décrit-il. Il a ainsi intégré la prestigieuse Académie de l’Opéra de Paris, qui accueille une quarantaine de jeunes artistes de toutes nationalités, issus de 10 corps de métier différents, dans les ateliers et salles de répétition de l’Opéra Bastille et du Palais Garnier (Lire ici le premier épisode de notre série consacrée à l’Académie)

Pourtant, Paul Balagué l’avoue lui-même, il ne connaissait « absolument rien » ou presque, à l’opéra et à son décorum avant de se retrouver sous les fastes bigarrés du plafond de Chagall. Initié au théâtre en classe préparatoire à Toulouse, Paul Balagué suit un master puis un doctorat d’études théâtrale à l’université Paris III – Sorbonne Nouvelle ainsi qu’une formation de comédien à l’école privée Claude Mathieu. C’est la directrice de la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (MC93), Hortense Archambault qui, après avoir vu sa pièce de théâtre Merlin adaptée de Trankred Dorst au Théâtre du Soleil, lui a suggéré de postuler à l’Académie.

Alors que l’Opéra de Paris a tiré son rideau pour les congés annuels, nous avons rencontré Paul Balagué, 28 ans, pour dresser le bilan de son année immergé parmi la foule fascinante qui oeuvre au quotidien à la bonne marche du temple des arts lyriques français.

ARRIVER A L’OPERA

Arriver à l’Opéra pour son premier jour de travail, c’est quelque chose d’incroyablement stressant et de terriblement exaltant à la fois. L’été avant mon entrée à l’Académie, j’ai tout fait pour me mettre à niveau : écouter des podcasts, me documenter, commencer à apprendre à lire la musique. Mais je ne pouvais pas m’attendre à ce qui aller arriver.

L’exigence à l’Opéra est immense. Les temporalités de création sont courtes, les coûts de production sont énormes, chaque personne est ultra-compétente. Il n’y a pas de temps pour l’errance, il faut être au présent, s’adapter constamment, être à la hauteur de l’enjeu, se montrer digne de la structure.

Tout est démesuré. Par exemple, pour la création Only The Sound Remains par Peter Sellars où j’ai été assistant, il n’y avait que très peu d’artistes au plateau. Mais une soixantaine de personnes étaient mobilisées autour du spectacle. La machine de l’Opéra, il ne faut jamais que ça s’arrête. Car les gens qui travaillent ici ont un rêve. Tout le monde rêve ici. Tout le monde sait pour quoi il travaille, pour quoi il est là. 

ÊTRE METTEUR EN SCENE EN RESIDENCE A L’ACADEMIE

Pendant cette année, je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai été assistant sur des productions, j’ai aussi fait un stage en régie de scène, pour comprendre de l’intérieur le fonctionnement technique des spectacles, j’ai fait de la mise en place de concert qui consiste à donner aux artistes des indications scéniques pendant les récitals.

Assister à la mise en scène pour un opéra, cela consiste à noter ce que dit le metteur en scène sur les placements ou les intentions, apprendre par coeur la partition pour savoir qui fait quoi à quel moment. C’est participer à l’organisation de la production, être un relai entre les artistes et le metteur en scène. En somme, c’est engranger en permanence une masse d’informations hétéroclites et pouvoir la restituer. Je dirai que c’est aussi assurer l’ambiance au plateau, gérer la bonne marche de l’équipe, des émotions.

Si les gens s’entendent bien en coulisses, c’est palpable sur scène, le groupe rayonne, le public le perçoit. Les corps disent tellement de choses, au-delà de la performance.

Travailler dans l’envie, c’est essentiel pour moi. Ca a été le cas avec Peter Sellars. Il y avait dans sa direction quelque chose qui donnait aux gens non seulement la nécessité d’être là mais aussi celle de se dépasser, de se surprendre.

Puis, j’ai écrit et créé mon workshop de mise en scène « Et tout là-bas, les montagnes » avec l’ensemble des académiciens, en juin dernier.

ET TOUT LA-BAS, LES MONTAGNES

J’ai pensé mon spectacle de sortie de l’Académie comme à rebours des fantasmes de grandeur que l’on cultive sur l’opéra. J’ai choisi d’axer la narration sur l’intime, loin de Paris et des dorures du Palais Garnier. L’action se situe dans une petite ville paumée, dans les montagnes. C’est l’histoire de quelqu’un qui rentre dans la maison de ses parents après la disparition de ceux-ci, qui s’apprête à vendre la maison de son enfance. Un cabaret de souvenirs rythmé par un patchwork du répertoire de l’opéra américain de la fin du XXème siècle mais aussi par The Animals ou le groupe folk The Devil Makes Three.

C’est un spectacle sur le deuil, sur le chagrin. Je vais bientôt avoir 30 ans, et plus j’avance, plus je ressens la mélancolie et la joie mêlées, la saudade. C’était comme franchir une frontière pour moi, ce spectacle.

Enfin, au lieu de présenter des personnages héroïques, je voulais mettre en scène des gens ordinaires, en position de faiblesse. J’ai dirigé les chanteurs en ce sens. On leur apprend à être performatifs. J’ai voulu les pousser vers leurs fragilités, toucher à la corde sensible qui peut faire pleurer une salle. En sept minutes, dans une chanson, on a le temps de développer ça.

DEPLACER L’OPERA

Pour moi, l’opéra c’est passer par un langage sonore pour exprimer des situations. Un corps humain en train de vibrer sur scène, en direct, c’est le véhicule émotionnel le plus puissant qui existe. Par la musique on peut explorer des couches profondes de l’âme humaine, c’est l’essentiel qui en ressort, et seule la musique permet ça.

Ces vecteurs sont universels, chacun peut se les approprier mais il faut changer le spectacle vivant et les lieux dans lesquels on le présente pour aller au-devant des gens et s’adresser au plus grand nombre. Il est temps d’inventer de nouveaux dispositifs, d’investir des lieux alternatifs, des salles différentes. De s’adapter à notre époque qui est aussi celle des écrans, de la série, de l’expérience augmentée par le numérique.

Je trouve que Les Indes Galantes de Rameaux revisitées par Clément Cogitore pour 3ème scène [la scène numérique de l’Opéra de Paris NDR] est une des oeuvres les plus novatrices qui aient été imaginées à l’Opéra ces derniers années, dans le sens où elle mêle le Krump au classicisme, la contre-culture à l’institution, le tout sur un support accessible à tous.

L’AVENIR

Pour la saison prochaine, je prépare City of Dreams, un spectacle immersif et circulatoire, qui sera montée au Théâtre du Soleil avec ma compagnie En Eaux Troubles. Le spectateur aura aussi l’occasion de prolonger l’expérience de la représentation  via un site internet cartographié comprenant des court-métrages, des podcasts ou des playlists.

Dans mes spectacles, j’aime à imaginer des dispositifs immersifs, à 360 degrés. J’aime à penser qu’on peut aller boire des coups, aller au théâtre, discuter avec ses amis ou écouter un opéra dans une même soirée, dans le même espace, que la frontière du temps de la représentation soit abolie. 

J’aimerais aussi beaucoup travailler de nouveau avec certains artistes et techniciens que j’ai rencontrés à l’Académie. J’y ai fait des rencontres très fortes.

Enfin, si je pouvais monter un opéra ce serait « Tristan et Isolde » de Wagner. C’est un opéra vénimeux et sublime, qui véhicule la mélancolie la plus crasse, au plus près des sentiments.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 10

Latest Images





Latest Images